Isobel 11

La terre nivelée n’a pas encore enfilé cet habit dont les spécialistes du bâtiment se plaisent à vêtir les plans d’urbanisation. C’est un gros sable compact quasi rocailleux qu’Isobel foule ; un sable ferrugineux parfois noir que l’on trouve d’habitude sous la poudre blonde, un compost minéral vaguement sanguin, une terre sur laquelle rien ne poussera jamais et sur laquelle, par conséquent, on ne coulera le susdit béton sans le moindre regret. C’est plat. Plat, désert, pas de sécurité visible, pas d’ouvrier non plus. Isobel s’en étonne à raison. Elle ignore pourtant qu’en ce moment même, les troupes rassemblées s’éloignent du principal camp phalangiste vers les Pierres. Des conduites déterrées barrent jaunes ou bleues la zone des transformations. Les gargouillements de moteurs, les klaxons, les apostrophes cyclistes sont des choses extérieures, des ambiances. Par précaution ou réflexe, Isobel se limite aux chemins balisés par des alignements grossiers de planches posées à plat, se dirige naturellement vers le centre, l’excroissance encore hérissée de tiges de renfort. Palettes d’agglos autour, bétonnière, cubes cellophannés. Les ampoules de Conformité, si Isobel doit en trouver, ne sont de toute évidence pas entreposées à l’extérieur mais découvre, une fois avancée dans l’enfoncement du coffrage, que non seulement les entrées sont couvertes de bâches en plastique clair vaguement translucides, sales à force d’usage, mais que l’entrée du collecteur ouvre sur un large puits auquel on accède par une rampe — Isobel ne connaît rien aux collecteurs mais reconnaît certaines esquisses de plans. Il y fait aussi sombre qu’on puisse l’imaginer — Isobel retrouve une témérité qu’elle pensait éteinte, elle s’enfonce encore dans la structure, trouve une boîte à outils laissée non loin d’où dépasse une lampe torche (ce n’est qu’un emprunt). Le bâtiment sous-terrain ne présente au début rien de particulier : des primitives, du béton nu, encore, quelques rouleaux de câbles, des plaques de placo entreposées à […]

Ce texte n'est disponible qu'au format imprimé. Outre que cela ne ferait certainement pas plaisir à l'éditeur, un texte édité est toujours plus intéressant que la matière brute sortie de la tête de son auteur. Plus propre. Purgée de toute coquille.