Jaz 5

La veille, donc, détour par le triangle Danube-Lilas-Place-des-fêtes, dîner à la surélévation Est de Lutecia avant le crépuscule. De jour, c’est une zone un peu trop exposée à Amon qui la frappe aux sommets et nous pouvons en témoigner par le béton blanchi, du sable patine les balcons et seule une grappe d’hydrocollecteurs en formation serrée géostationnaire parvient à lui offrir une découpe de fraîcheur. Pas de balcon chez les parents d’Isobel, des stores à demi baissés, une ambiance tirant sur le rouille (Amon perce au-travers des aérostats) au septième étage mais une infosphère limpide dont le beau-père s’enorgueillit les mains jointes sur le ventre et la chaise tirée en arrière. Un drôle de couple d’anciens militants opposables — Il était plus progressiste, avant, insiste la mère comme coupable. — Je suis gauche. — Tu te disais social démocrate (elle évoque les temps parlementaires, des temps où la république masquait encore sa nudité démocratique) — C’est de gauche. — C’est crypto-de-droite. Isobel lève les yeux aux ciel et les mains pas moins haut, soupire, vous n’allez pas recommencer se plaint-elle — C’est ta mère, entendons-nous pour réplique (il fouille du tabac et commencer à rouler un papier). D’ici deux minutes, prédit Isobel, nous allons être chapitrés sur la Phalange et le République-en-danger. Vous en pensez quoi, vous, Jaz, hein, dites ?
—Papa.
—Vous en parlez jamais, c’est pas après vous qu’ils en veulent ?
—On se fait régulièrement caillasser, avoue Jaz (il tire de ses mains un bout de la toile cirée, des motifs floraux s’éloignent). On doit bouger nos effectifs vers les portes de la cité.
—Ah !
—Ils en veulent après les figures du pouvoir, explique Isobel. Le Bureau est une figure du pouvoir, c’est un symbole, ce n’est pas après nous spécifiquement qu’ils en veulent.
Le père tousse, nettoie du tabac égaré du plat de la main, tapote sa roulée contre la table : ça me fera une belle jambe s’ils vous agressent. Le pouvoir essore les précaires, justifie Isobel, il ne faut pas s’étonner qu’on en soit là. Le danger de la Phalange, surtout, c’est sa militarisation. — C’est pas super de gauche, siffle Jaz. — La révolution, c’est plutôt poreux pour les progressistes et les rouge-bruns, soupire-t-elle en retour.
Si ça tourne au vinaigre, intervient la mère d’Isobel, c’est bien à cause de la propagande. Vous avez vu en bas ?
Oui, en bas, Jaz et Isobel ont croisé ces devantures fermés sur ordre de la Préfecture de Police, les forces de l’ordre casquées massées plus que d’ordinaire aux carrefours, un chanteur publique se arrêter sans douceur (ils n’arrêtent que des adolescents, insiste la mère).
On la voit changer, l’époque, s’attriste la mère d’Isobel, les fanzines militants ont virés aux libelles, la plupart sont rédigés par le pouvoir ou des proches du pouvoir
—Comme, coupe le père ?
—Comme ces imprimeurs versaillais, ils fréquentent la petite aristocratie.
—Tu n’en sais rien.
Tu n’as même pas pris la peine de lire les textes.
—Ce sont des torchons.
—Tu n’écoutes pas la chanson publique.
—La chanson me fatigue.
—Et vous, alors, Jaz ? On vous jette des pierres, qu’est-ce qui se dit chez Mesures et Observations ? Qu’est-ce que vous lisez ?
Jaz pousse un peu ses couverts dans une découpe crépusculaire, sa main reste dans du pourpre coté pénombre, avoue que la politique n’a jamais été son truc, que c’est Isobel la […]

Ce texte n'est disponible qu'au format imprimé. Outre que cela ne ferait certainement pas plaisir à l'éditeur, un texte édité est toujours plus intéressant que la matière brute sortie de la tête de son auteur. Plus propre. Purgée de toute coquille.