Les naissances étaient contrôlées. En dehors de l’académie, et hormis chez quelques familles privilégiées, on ne pouvait avoir d’enfant sans l’accord du superviseur local. Dans l’enceinte de l’académie, un superviseur était inutile ; ils étaient des adolescents arrachés à leurs familles, des armes asexuées conçues pour la guerre ; certes les rapports sexuels étaient autorisés, voire conseillés : les élèves devaient appréhender la chair (ils dormaient, se lavaient et pataugeaient dans la boue ensemble) — comme on apprend à tirer au fusil-mitrailleur. Évidemment, ils y avaient des mauvais élèves, ceux qui devenaient amoureux de leurs fusils-mitrailleurs, et ceux qui continuaient d’avoir peur à s’en servir ; mais la masse suivait le courant, apprenant à fonctionner en duo, apprenant à se relâcher, à faire confiance, à laisser son corps, sa vie reposer entre les mains d’un frère ou d’une sœur d’armes. Tout cela restait empreint d’une morale datée : les accouplements se limitaient à deux personnes et, n’en déplaise à certains, on ne baisait ni les animaux, ni les cadavres, ni les moins de douze ans — et l’homosexualité, bien qu’interdite dans l’empire, restait tolérée tant qu’elle n’était pas affichée. Afin de ne pas se retrouver avec des mères porteuses par douzaine, les filles de l’académie subissaient un traitement chimique d’avant-guerre aux effets secondaires inconnus ; comme dans tout ce que l’empire avait hérité du monde passé, il y avait des ratés et, aux premiers symptômes, tout jeune femme soupçonnant une grossesse avait pour consigne de se rendre à la clinique de l’académie où elle était endormie et où l’anomalie était rectifiée par la voie opératoire. Quand, deux mois plus tôt, Callisto avait compris qu’elle faisait partie de celles qui résistaient au traitement, elle pleura — sans raison, sans honte, sans cauchemar relatif à la perte à venir du foetus ou à l’infini d’une vie stérile. La solitaire ne s’était jamais projetée en mère de famille — en mère. Elle s’était toujours imaginée en combattante ; elle avait cru à la nécessité de l’empire, à cette phase temporaire de diktat militaire avant la reconstruction d’une paix démocratique durable. Elle finit par admettre que ses larmes n’avaient qu’une origine hormonale. Puis, là encore sans raison valable, elle n’en avait parlé à personne — attendant un long mois avant d’oser en parler à Silas, avant de lui avouer qu’elle voulait le garder. Contre toute attente, le rôdeur avait bien réagi, il l’avait comprise, avait accepté la situation, l’avait embrassée, lui avait proposé qu’ils en reparlent plus tard ; et ils n’en avaient plus reparlé, leurs rares échanges se réduisant à des bonjours de politesse, à des formules utilitaires (passe-moi un chargeur) ; ni elle ni lui n’avaient osé aborder à nouveau le sujet — le bébé, enfermé sous une chape de plomb. Elle n’avait jamais voulu le garder, elle n’avait aucune envie d’élever un gamin ou une gamine dans ce monde, surtout dans ce monde, mais elle n’avait jamais voulu le perdre ; le temps lui avait fait comprendre qu’en réalité elle ne voulait plus se conformer — sa grossesse imprévue comme un écho de ses doutes intérieurs. Callisto commençait à douter que la guerre de frontières entre […]

Oh, mais, pourquoi couper ? Pourquoi si peu ? Pourquoi se contenter d'un avant-goût, hein, pourquoi ? Abonnez-vous et recevez à la carte les fragments de ce texte !