Le scorpion dardait ses pupilles noires sur elle, la fixait — proie désirable. Les miwoks racontaient que Coyote avait laissé les scorpions parmi les humains afin de leur rappeler que, comme sa propre fille, ils étaient mortels ; d’autres prétendaient que les scorpions étaient des envoyés du ciel venus les punir du vol du feu solaire — le charme de la mythologie indienne était qu’elle ne reposait sur aucune vérité scripturale. Tout comme Kyra gardait précieusement en elle les souvenirs de son enfance, Hateya luttait pour que les contes de ses ancêtres demeurent vivants dans sa mémoire — les contes, blancs ou indiens, s’oxydent trop souvent au contact de la réalité. Peu de la seconde génération d’indiens déracinés avaient eu la chance d’avoir accès à l’héritage culturel oral de leurs ancêtres ; peu avaient eu la chance d’avoir deux parents tous deux indiens — souvent le blanc possesseur de la jeune indienne adoptée succombait au droit de cuissage bien avant la majorité de celle-ci et la conservait comme prostituée exotique à domicile. À cette époque, au commencement de la guerre qui vit s’effondrer les nations du passé et naître les impostures du présent, une mode bourgeoise s’était développée : l’adoption de petits indiens ; les nouvelles nations colorées, émergentes, ayant rendu inoffensives les anciennes, les indiens ne faisaient plus peur à personne, leur souveraineté abrogée par les financiers, leurs réserves rasées par leurs actionnaires, leurs derniers occupants disséminés et relogés dans des banlieues sordides et des prisons fédérales ; les indiens étaient devenus des hommes blancs et des femmes blanches, pauvres, tellement pauvres qu’on ne pouvait considérer raisonnablement qu’ils étaient à même d’éduquer convenablement leur progéniture, aussi les bourgeois vieillissants du vieux continent s’étaient émus de leur situation au nom d’un système de valeurs dépassé mais qu’ils continuaient d’afficher telle une carte de visite élimée, adopter un enfant indien leur donnait alors bonne conscience, voire un certain prestige ; par un effet imprévu, les adoptés apprirent à se trouver, à communiquer, à se rassembler, à tisser leur propre réseau social, transparent et salvateur ; ainsi ses parents avaient pu se rencontrer, s’aimer, donner naissance sur un continent étranger à une enfant bâtarde, mélange incongru de sang séminole et de mythologie miwok — puis la guerre avait tout balayé, reléguant à l’oubli l’histoire des indiens adoptés, détruisant leurs réseaux, leurs contes et leurs espoirs, enterrant les parents d’Hateya sous les gravats d’immeubles sociaux bombardés sans égard. Elle avait huit ans quand ses parents étaient morts ; elle fut envoyée comme tous les orphelins blancs aux centres d’orientation qui la destinèrent à l’académie ; le temps s’effaça pour l’indienne ; une seule certitude restait : les corps mouraient, leur mythologie survivait. Retour au scorpion, des années plus tard, retour à une nouvelle épreuve à travers laquelle Coyote la testait ; elle analysa le scorpion : il n’apportait pas la mort mais le désir égoïste — il la voulait elle (un truc en rapport avec la puberté, la possession, le caprice d’adolescent blanc : Orion voulait adopter sa petite Pocahontas). Aucun mot ne fut échangé ; un regard suffit à Hateya pour coller son poing dans la figure du mâle lubrique. Orion tituba, surpris, avant de ressaisir, de reprendre contenance tout en jaugeant alentour le nombre de témoins de cette remise au point : ils étaient dans la cour des élèves, largement fréquentée à cette heure médiane de la journée — il allait être question d’honneur. Le scorpion […]

Oh, mais, pourquoi couper ? Pourquoi si peu ? Pourquoi se contenter d'un avant-goût, hein, pourquoi ? Abonnez-vous et recevez à la carte les fragments de ce texte !