Premiers meurtres et premiers amours

Du sang partout — gouttant des lambris du plafond, suintant des fentes des parois, s’étalant sur les lattes du plancher. Des ombres, amas de sang épais, remplaçaient les fantômes, les loups-garous et les tueurs de la république dans les cauchemars de Zoé, s’immisçant parfois, souvent, dans les angles morts de sa réalité, la renvoyant huit ans en arrière, dans un passé dont Thècle disait qu’ils en porteraient à jamais les stigmates. Elle avait dix ans. Ils avaient tous dix ans. Séléné avait dix ans. Les instructeurs les avaient emmenés dans un bâtiment alors inconnu, dans une salle immense, inquiétante. Des gardes armés, nombreux, étaient postés sur toute sa longueur ; face à eux, des barreaux, une rangée de cellules — comme des cages avait-elle pensé, des cages sans oiseaux. On les avait fait se mettre en file, chacun face à l’une des cellules, face à un prisonnier, un homme ou une femme, nu, maintenu au sol par de courtes chaînes et muselé à l’aide d’une lanière en cuir. L’un des instructeurs avait pris la parole. Elle ne souvenait plus lequel ; elle se souvenait de Kyra à sa droite, d’Écho à sa gauche, de trois filles désemparées face à l’ampleur de la tâche qu’on exigeait d’elles. Des mots, des phrases, des sentences avaient glissé sans se fixer sur son esprit, le temps avait coulé sans prise, elle n’avait pu détacher son regard de la femme qui lui faisait face derrière une barrière artificielle : son corps meurtri, entaillé sur les joues, les avant-bras, les seins, les cuisses ; ses cheveux rasés de trop près ; ses yeux qui fixaient un autre monde — il ne s’était pas tant s’agit de torturer les prisonniers que de les marquer. Le nom de Séléné résonnait dans le discours de l’instructeur. Zoé n’avait pas compris tout de suite. Séléné avait été tuée. Oui, elle avait été tuée. Les élèves avaient murmuré entre eux, puis s’étaient tus, rappelés à l’ordre. Séléné. Dès le lendemain, une autre élève occuperait sa couchette, comme s’il ne s’était rien passé, comme si l’enseignement de l’académie devait suivre son cours malgré tout ; deux ans plus tard, Rhadamanthe avait prétendu savoir de sources sûres que Séléné avait été tirée au sort (ça aurait pu être n’importe lequel d’entre eux) pour être sacrifiée, une sur cinquante, pour améliorer les chances de survie des quarante-neuf autres, enseigner aux quarante-neuf autres que la mort n’était pas une théorie, mais une réalité. Peu avait cru en Rhadamanthe, Zoé avait voulu y croire pour effacer les mensonges de […]

Oh, mais, pourquoi couper ? Pourquoi si peu ? Pourquoi se contenter d'un avant-goût, hein, pourquoi ? Abonnez-vous et recevez à la carte les fragments de ce texte !