Damon avait peur. La plupart de leurs camarades étaient restés dans le corps principal du manoir tandis que le diplomate et Hæmon, son ami d’enfance, s’étaient retranchés dans le pavillon de chasse — Kyra (sa coéquipière) ayant disparu sans laisser de traces, Damon avait nonchalamment suivi le narrateur. À présent, la vision morbide de son propre cadavre lui revenait en mémoire. La nuit, la forêt, le silence encerclaient le manoir ; les silhouettes noires et indomptables des perroquets lui parurent intrusives, dans cet endroit retiré du temps par une guerre trop longue ; seule une lueur perceptible à travers la baie de l’observatoire, l’une des rares pièces encore vitrées du manoir, rappelait à Damon la présence d’autres humains. Qui avait vécu ici ? Quels souvenirs heureux ou tragiques hantaient ces lieux ? Un vent chaud le fouetta au visage ; des ombres s’agitaient dans les broussailles environnantes. Des loups rôdaient-ils vraiment dans les environs ? Les loups étaient revenus sur le vieux continent ; ils cherchaient à récupérer leurs terres, leurs terrains de chasse ; les loups revenaient en prédateurs, au même titre que les soldats de l’empire et de la république. Orion, le natif de la péninsule, leur avait raconté cet après-midi, entre deux parties de cartes, que le retour des loups avait fait naître d’étranges rumeurs dans la région, des rumeurs d’hommes-loups ; ah, il avait bien ponctué cette anecdote d’un éclat de rire, mais il n’avait pu s’empêcher de le ressasser : il avait suffi d’un ou deux meurtres sanglants (un règlement de compte, une attaque d’un animal enragé, peu importe) pour que cela turbine dans la tête des gens, “c’est fou comment une rumeur abracadabrante peut voir le jour”. Pourtant, Damon devait avouer qu’il n’était pas rassuré ; une sensation remonta, un écho de sa course dans la forêt — une certitude : nous sommes des étrangers aux yeux de cette forêt millénaire. Que faisait-il ainsi dehors, au milieu de terres dévastées ; pourquoi vouloir retourner en pleine nuit au salon récupérer son luth — un laouto familial — dont il avait joué quelques notes dans la soirée avant que la politique ne reprenne le dessus. Il n’aimait pas dormir sans ; l’instrument lui faisait office de porte-bonheur : sans lui, il se sentait vulnérable. Des visions idiotes le tourmentaient : Hermione ramassant le luth et l’abîmant à escient, ou Saturne le jetant dans la cheminée comme du vulgaire bois de chauffe, Oreste écrasant un gros rat avec. Arrête. Laisse tomber. La journée avait été chargée en images […]

Oh, mais, pourquoi couper ? Pourquoi si peu ? Pourquoi se contenter d'un avant-goût, hein, pourquoi ? Abonnez-vous et recevez à la carte les fragments de ce texte !