Créatures et fantômes

Vestiges d’une classe bourgeoise mise au rebut par la junte militaire de l’empire, les boules multicolores s’entrechoquaient avant de tomber au travers des poches percées et de s’écraser sur le plancher. Athanase et le scorpion se disputaient le titre de roi du billard de la péninsule, une finale peu suivie tant les discussions politiques avaient, comme le voulait l’usage à l’académie, supplanté toute autre forme de communication ; la vanité se partageait la parole avec la vacuité : les élèves étaient à un âge où les convictions enracinaient leurs porteurs dans le sol aussi fermement qu’une coulée de ciment. Le clan de Zacharie, pur produit du peuple, soutenait la nécessité d’une hégémonie impériale en temps de guerre ; le clan de Pallas, pur héritier de la noblesse, à l’inverse et sans sembler renier pour autant la légitimité de l’empire, prétendait que la guerre ne consistait plus qu’en une guerre de positions et que les dirigeants des deux bords étaient trop lâches, couards et suffisants pour accepter de laisser la place à un gouvernement de transition. Les marginaux et ceux qui ne trouvaient pas leur compte dans ces deux courants de pensée avaient déserté le grand salon : Nicétas, Silas, Callisto et Hateya s’étaient mis à l’abri des débats dans la salle à manger qu’ils avaient prévu d’investir pour la nuit ; Hermione, Orphée, Kyra, Nausicaä et Cassien avaient faussé compagnie au groupe, dans leur recherche perpétuelle de solitude. Thècle, sainte parmi les saintes, notre-dame de la virginité, déesse de la pudeur (elle ne comptait plus les titres que le narrateur lui avait attribués au fil des années), n’avait, évidemment, su se décider, et était restée immobile, sous tension, le dos tourné au billard, au salon, aux joueurs, aux idéalistes et aux prophètes, le visage fermé, le front soucieux, des larmes de sueurs luisant sur les tempes ; la sainte regardait une silhouette sombre et silencieuse qui arpentait d’un pas de danse aérien le pourtour du lac mort, que même la pleine lune, dans toute sa curiosité, ne parvenait à éclairer entièrement, laissant dans l’obscurité des abysses où les spectres du […]

Oh, mais, pourquoi couper ? Pourquoi si peu ? Pourquoi se contenter d'un avant-goût, hein, pourquoi ? Abonnez-vous et recevez à la carte les fragments de ce texte !