Hasard et sortilèges

“Bienvenue en Arcadie. La patrie des bergers, des poètes et des héros. Je me réjouis, et je vous remercie, de votre présence au grand complet. J’en suis, croyez-le, extrêmement flatté. Aussi, il est plus que temps que je vous communique le programme de demain.” Ouvrant la marche, Pallas franchit les trois marches menant à l’une des deux portes arrières du manoir, celle de l’ouest ; la double porte s’ouvrit sur ce qui avait dû être une salle de détente, à en juger par ses reliquats : des fauteuils à la tapisserie défigurée par de multiples cicatrices, un billard qui à défaut de resplendir avait été dépoussiéré récemment. Escortant le meneur, Saturne alluma des lampes à huile accrochées au mur — il procéda de la même façon pendant le reste de la visite. “Sans la loi martiale, le fier propriétaire de cette demeure vous aurait accueillis dans cette pièce, ou dans le grand salon attenant [geste vers la porte sud à moitié dégondée]. Mais l’empire en a décidé autrement.” La plupart d’entre eux faisaient leurs premiers pas dans l’édifice où leur meneur les avait conviés, à l’insu de leurs instructeurs, pour une dernière virée  : un manoir à l’abandon, point de chute de Pallas et Hæmon depuis plus d’une année — excursion improbable tant l’endroit était isolé (situé dans la pointe forestière nord de la péninsule, entouré par un massif sec et inhospitalier, desservi par des routes oubliées et des sentiers envahis par la végétation). La région était déserte, les autres demeures nobiliaires des environs se trouvaient toutes dans le même état d’abandon que celle-ci, et les derniers habitants de la péninsule s’étaient regroupés au sud ; la capacité de Pallas à monter cette opération et à obtenir les laisser-passer nécessaires prouvaient l’influence souterraine que pouvait encore exercer sa famille. “Le billard d’époque est prêt à recevoir les plus adroits d’entre vous : laissez-vous tenter plus tard. Pour l’heure, continuons la visite.” Dehors, une nuit silencieuse et moite avait recouvert le jardin ; minuit approchait, encore une ou deux heures à patienter. Le groupe sortit de la salle de détente dépassant deux portes, à gauche “la paperasse jaunie de l’intendance”, à droite “un charmant petit salon mieux préservé que son grand frère” ; ils s’engouffrèrent dans l’impressionnant vestibule du manoir : d’un côté une massive double porte d’entrée, de l’autre un escalier à double hélice recouvert d’un large tapis rouge élimé. “Votre attention à tous. Par respect envers les précédents habitants de ce somptueux manoir, mais aussi car j’ai de sérieux doutes sur l’état du plancher, je vous demanderai de ne pas entrer dans les chambres de l’étage — vous n’y trouverez de toutes façons que des meubles en piteux état, des matelas tachés et très inconfortables, des penderies miteuses et démodées ; vous pouvez en revanche vous rendre sur les deux terrasses [Pallas ne mentionna pas l’observatoire ; un chef devait garder ses secrets, et les rumeurs se chargeraient, si ce n’était déjà fait, de faire savoir à tout le monde que la coupole du manoir était son territoire].” Les vingt-cinq silhouettes intruses (Silas manquait toujours à l’appel) traversèrent le vestibule vers l’aile est du bâtiment, passant devant la porte du lavoir et l’embrasure d’une autre, manquante, qui donnait sur une grande cuisine hors d’usage d’où on pouvait accéder aux jardins. Ils pénétrèrent dans la dernière pièce du rez-de-chaussée, à l’opposé de la salle de détente, une immense salle à manger en L couché. Saturne alluma deux autres lampes à huile sur le mur est. Au sud, deux couples de grandes fenêtres contiguës (séparés par une imposante cheminée noire de suie) laissaient entrer la clarté lunaire. Un coup d’œil suffisait pour comprendre qu’il s’agissait de deux pièces distinctes dont le mur séparateur avait été abattu de façon expéditive (des briques subsistaient, chair rouge mise à nu, de chaque côté). Quelques tronçons de bois rappelaient la présence de tables et de chaises ayant probablement servi à alimenter la cheminée (le manoir était doté d’un de ces monstres cracheurs de feu à chaque point cardinal). Pallas, en maître de cérémonie, monta sur un piédestal fait de planches vermoulues entassées dans l’angle de la pièce ; à ses pieds reposait un coffret en bois. “Prenez place où vous voulez.” Ses camarades s’égayèrent en quart de cercle autour de lui, […]

Oh, mais, pourquoi couper ? Pourquoi si peu ? Pourquoi se contenter d'un avant-goût, hein, pourquoi ? Abonnez-vous et recevez à la carte les fragments de ce texte !