La forêt jouait sa mélodie ; ils avaient passé tant de temps lors des exercices à des tâches concrètes (s’orienter, préparer le campement, monter la garde) qu’ils en avaient oublié de s’abstraire de leur mission pour écouter la forêt. Les bosquets et les fourrés avaient été leurs ennemis, des emplacements pour des pièges, des planques pour des adversaires imaginaires ; ils auraient dû s’en faire des amis, apprendre le chant écorché de l’aubier et le murmure profond du duramen. Leurs yeux s’étaient égarés, marqués par la fatigue et le désarroi, sur les feuilles mortes, l’humus rampant et la litière des forêts ; ils auraient dû s’élever au-delà des cimes pour appréhender dans son ensemble le chœur forestier. Avant la guerre, la superficie des forêts dépassait le tiers de celle du vieux continent ; à présent, elles n’en occupaient plus que le quart. De nombreuses forêts s’étaient muées en champs de bataille déboisés, en camps de réfugiés, en sources de bois de chauffage vite taries. Précédant d’un pas vif Zacharie, le noble repenti, et Nicétas, le faux rebelle, Damon s’engouffrait dans des tranchées que les arbres mixtes et vigoureux de la péninsule semblaient créer à leur attention, les guidant sur la piste du métis, piste régulièrement confirmée par la découverte d’un vêtement abandonné ou d’une branche brisée par une main humaine. Contrairement à Zacharie qui privilégiait le terrain, Damon voulait changer le monde dans les hautes sphères ; il savait que la tâche était incommensurable, que les préjugés et les antécédents étaient invincibles, mais il avait appris l’art de la flatterie et du compromis ; les têtes pensantes de l’empire devaient évoluer, il ne tenait qu’à des hommes comme lui d’insuffler la voie du changement — l’une des premières phases serait la reconquête de leur espace naturel, apprendre des erreurs du passé plutôt que de reconstruire dessus. Ils avaient été trop loin avec Cassien, le diplomate ne s’en rendait compte que trop tard, et il ne s’agissait pas que d’aujourd’hui, mais de la répétition lancinante des mêmes brimades. Aussi, quand son regard avait croisé ceux de Zacharie et de Nicétas, ils avaient compris tacitement qu’ils leur revenaient de partir à la recherche du métis et, pour ce dernier baroud d’honneur de leur promotion, d’apprendre enfin de leurs propres erreurs. Les dernières lueurs déclinantes du soleil embrasaient les limbes des gardiens de ces lieux, exacerbant l’inflorescence […]

Oh, mais, pourquoi couper ? Pourquoi si peu ? Pourquoi se contenter d'un avant-goût, hein, pourquoi ? Abonnez-vous et recevez à la carte les fragments de ce texte !