Un frémissement parcourut la surface du lac forestier — plusieurs. Seule la sainte les perçut ; seule la sainte perçut que leur présence en ces lieux troublait la quiétude des cieux, des sous-bois et des eaux souterraines. Les sursauts de la terre, répercutés à même l’onde, faisaient écho aux chuchotements de sa conscience qui, à peine éveillée, lui reprochait déjà d’être venue, de ne pas avoir eu la force, la conviction, la contenance de trouver un prétexte pour échapper à ces derniers jours de fraternité virile. Thècle dut rappeler à sa conscience que même elle avait été plutôt conquise par la proposition de Pallas, par cette dernière pause avant le grand départ, par l’idée d’être seuls après tant d’années d’épreuves sous surveillance, dans un havre, ce territoire idyllique tiré des récits du scorpion sur les guerres de la péninsule ; certes plusieurs d’entre eux se retrouveraient probablement dès le mois prochain pour entamer leur formation d’officiers (Pallas, Hæmon, Damon, Roxane, Callisto et Ovide), mais les autres seraient disséminés sur le terrain avec peu de chances d’être affectés dans une unité commune, et Thècle la première, sa conscience ne cessant d’appuyer sur cette évidence, n’avait aucune chance de rester auprès de Valentine, la seule de leur groupe à avoir été sélectionnée pour rejoindre les unités d’élite de l’empire — un monde fascinant et mystérieux d’espionnage, d’assassinats et de missions suicides (depuis que la nouvelle de la sélection de son amie s’était répandue, Rhadamanthe n’arrêtait pas de lui rabattre les oreilles avec les mille et un secrets de ces unités d’élite sur lesquelles “on nous ment”). Alors, oui, même si elle nourrissait des regrets aussi profonds que leur amitié, Thècle savait que c’était les derniers jours qu’elle passait dans l’ombre de Valentine, et cela éclipsait le moindre remords. Après, ironisait sa conscience, prenant la voix culpabilisante de ses parents accroupis devant l’autel familial (qui tenait sur des piles de boites de conserve), Thècle, ma petite fille, tu devras te trouver un autre rocher auquel t’accrocher. Ses parents — toute sa famille — survivait par la force d’un divin transcendantal ; Thècle ne survivait qu’au travers des autres : elle avait besoin d’avoir foi en quelqu’un, de plonger ses yeux dans le regard à hauteur d’homme d’un être tangible et non dans celui condescendant d’une divinité innommable d’une religion obsolète. Plus l’heure de la séparation approchait, plus les mâchoires lupines du futur se refermaient sur son ventre, ses poumons et son cœur. Peut-être que sa conscience avait raison, peut-être qu’une séparation brutale aurait été moins douloureuse ; mais sa conscience ne savait pas que la douleur nourrit la mémoire. La douleur. Que dire de la douleur de Cassien ? Pas de trêve pour le chétif métis, même […]

Oh, mais, pourquoi couper ? Pourquoi si peu ? Pourquoi se contenter d'un avant-goût, hein, pourquoi ? Abonnez-vous et recevez à la carte les fragments de ce texte !