De la terre morte. Une fosse à cadavres. Des couches et des couches de terre morte, de morts enterrés les uns sur les autres. La science comme aboutissement, la culture comme justification. Attaque chimique après attaque chimique, des zones mortes avaient proliféré sur toute la surface du continent. Détruire les peuples, détruire leurs ressources, détruire leurs environnements — tout cela revenait au même. Si le continent ne serait pas à nous, il ne serait à personne. Roxane avait vu des larmes naître au coin des yeux de plusieurs d’entre elles, et pas que chez Thècle, mais Nausicaä, Kyra, Zoé avaient dû aussi passer un revers de main discret sur leurs visages alors que l’instructeur faisait défiler sur la toile tendue des projections de zones mortes dans une litanie sans fin. La princesse s’en était émue, mais elle était restée maîtresse d’elle-même ; la leçon du jour n’était pas l’auto-apitoiement mais l’insensibilisation. Année après année, à compter de leur majorité militaire, ils avaient dû apprendre à contrôler leurs émotions, à ne plus ressentir, à comprendre qu’être opérationnel primait sur être humain, à appréhender la sévère mais juste vérité qu’aucune guerre du passé ne s’était gagnée en armant les troupes de bons sentiments. Ces destructions, tragiques sorties de tout contexte, avaient été nécessaires, stratégiques, inévitables. Partager les richesses d’une nature généreuse n’était bon qu’à engendrer des tensions, des jalousies, des crispations, surtout quand on les partageait avec les ogres de la république, ces monstres des nouveaux contes pour enfants. Il leur fallait comprendre que détruire valait mieux que partager, que la logique de la table rase prévalait en toutes circonstances, que leur génération et les suivantes ne devraient jamais s’apitoyer sur les sacrifices consentis par leurs ancêtres, mais au contraire les en remercier et participer au nécessaire effort de reconstruction. À une vingtaine de mètres de la première marche de l’escalier en pierre menant à la porte d’entrée du manoir, là où commençait le lac d’honneur de cette ancienne demeure noble, les prédications des instructeurs devenaient aussi arides qu’un désert de sable blanc. D’une superficie équivalente à celle du manoir et de ses dépendances, le lac n’était plus à présent qu’une zone morte, même s’il n’avait pas la prétention et l’envergure de celles exposées fièrement sur la toile blanche de l’académie ; plus rien ne semblait vouloir ou pouvoir y renaître : tout […]

Oh, mais, pourquoi couper ? Pourquoi si peu ? Pourquoi se contenter d'un avant-goût, hein, pourquoi ? Abonnez-vous et recevez à la carte les fragments de ce texte !