“Le nord n’était pas ce qu’en racontent les légendes de l’empire. Dans l’imaginaire impérial, le nord était une terre froide, glaciale même, peuplée de bûcherons austères aux mœurs rigides, d’indigènes délaissés et alcooliques, et d’athlètes hédonistes à la blondeur indécente qui tels des dieux impassibles avaient snobé les débats identitaires entre les nations du vieux continent, obligeant l’empire à une annexion forcée qu’il n’avait pas souhaitée. Dans mes souvenirs, les souvenirs épars et diffus d’une petite fille de huit ans, le nord était une terre de chaleur, une terre peuplée de gens aimants et simples. Ma famille habitait un hameau paisible, en bordure d’une belle forêt clairsemée, une forêt de conte de fées sans ténèbres, sans soldats, sans loups. Les gens — mon entourage d’alors : papa, maman, mes oncles, mes tantes, les amis de mes parents — menaient une vie honnête ; ils me donnaient l’impression de travailler dur, animés par ce qu’ils appelaient la volonté de construire une société meilleure ; ils se détendaient lors de longues veillées, partageant recettes et boissons, discutant d’événements du quotidien, du climat, des récoltes, du prix des médicaments ; parfois, ils s’enflammaient, le temps d’un soir, autour d’un sujet de politique intérieure — je ne comprenais pas de quoi ils parlaient, il me manquait un contexte, mais je comprenais qu’au centre de leurs prises de position se dressait une peur : ils avaient peur de ce qui se passait à l’extérieur de nos terres, comme un petit enfant avait peur des créatures imaginaires de la forêt. Je me souviens de deux mots, des mots lourds de menaces ; ces deux mots, empire et république, prirent l’apparence, dans mon esprit, de ces royaumes lointains, ces terres hivernales où vivaient les géants de givre qui se préparaient pour l’assaut final devant avoir lieu à la fin des temps. Voici comment la fin des temps arriva : mon père, mes oncles, leurs amis furent mobilisés par des valkyries de l’administration centrale ; la vie se réorganisa entre femmes, rythmée par l’ouverture plus ou moins régulière des lettres de nos soldats (je me souviens qu’en bas de chaque lettre mon père laissait à mon attention un dessin simplifié en rapport à nos mythes : une fée, un lutin, un guerrier, un serpent de mer) ; puis, les lettres s’espacèrent, jusqu’à cesser complètement ; plus personne ne recevait de lettres ; alors, les maisons commencèrent à se vider, des gens fuyèrent vers le nord, […]

Oh, mais, pourquoi couper ? Pourquoi si peu ? Pourquoi se contenter d'un avant-goût, hein, pourquoi ? Abonnez-vous et recevez à la carte les fragments de ce texte !