Le sage regardait l’eau s’écouler sur le corps de Valentine. Les vagues cristallines de la cascade se fracassaient sur le trapèze de la jeune femme avant de ruisseler sur sa peau, enrobant ses seins pleins d’un voile étincelant ; les rayons avides du soleil faisaient de ses tétons des dards acérés et menaçants. Valentine étira ses muscles brachiaux, attirant à elle la force tellurique du lac, avant d’essorer sa longue chevelure châtain qui retomba dans son dos comme une lame droite, mortelle. Tirés en arrière, ses cheveux révélaient l’entièreté et la droiture de ses traits ; leur équilibre et leur simplicité évoquaient ceux d’un visage taillé dans le roc par une main plus avide de rigueur que d’esthétisme. Valentine aurait pu prêter ses traits à une obsolète déesse de la chasse ; son ventre plat à faire rougir la princesse de Pallas et son pubis rasé que venait caresser la ligne de l’eau ne seraient jamais dédiés à la fécondité. Son corps resplendissant sous le rideau diaphane n’était pas qu’inspiration de poètes et exaltation de mâles, il était d’une façon primale offert à la guerre. Valentine était ce qu’on avait coutume d’appeler, dans le jargon militaire de l’empire, un monstre de guerre. Elle impressionnait par son instinct, son sens aigu de l’observation, sa rapidité d’action. À l’époque, il lui avait fallu à peine une semaine pour rallier autour d’elle les autres, prêtes à lui obéir implicitement lors de chaque épreuve : Kyra, Zoé, Callisto, Alexia et Thècle. Évidemment, cette belle simplicité sculpturale de déesse guerrière affichée par Valentine, en partie malgré elle, n’était qu’un masque. Ovide savait y déceler des fissures. Derrière ce masque infaillible se cachaient les faiblesses de l’humaine : une sensibilité malvenue, une fragilité inadmissible. Ovide n’avait pas réussi à aller au-delà des présomptions, mais il savait qu’on ne cultive pas une telle solidité de façade sans en payer d’invisibles souffrances en retour. Valentine croisa son regard, lui sourit brièvement, comme sourit une amie loyale, sans concupiscence, un sourire frais et entier qu’un voile d’eau parvint cependant à faire trembler le temps d’un reflet. Kyra passa en nageant et, éclaboussant Ovide, rejoignit son amie. Ils étaient une dizaine à se rafraîchir ainsi dans le lac, protégés de la chaleur étouffante du soleil par une canopée bienveillante, tous entièrement nus. La réalité de la guerre, la persistance de la désolation, la proximité de la mort avaient rendu la chair moins noble, moins exotique, moins intime. Même si le concept de mort était moins familier pour leur génération que pour celle de leurs parents, la déstructuration du cycle abstrait de vie et de mort avait enjoint les hommes à en abstraire d’autres. Les visions réelles ou rapportées de charniers charbonneux, de cadavres nus amassés sans […]

Oh, mais, pourquoi couper ? Pourquoi si peu ? Pourquoi se contenter d'un avant-goût, hein, pourquoi ? Abonnez-vous et recevez à la carte les fragments de ce texte !