Le sage avait laissé parler le mystique, mesurant que ce serait lui donner trop d’importance de le réfuter. Aussi Rhadamanthe avait parlé, jouissant de la posture du bafoué, le visage encore rouge des phalanges d’Écho. Il avait parlé d’expériences scientifiques, de croisements génétiques, de guerriers surhumains — les réseaux regorgeaient de rumeurs à ce propos, le sage lui-même s’en était amusé, les prenant pour ce qu’elles étaient : des rumeurs. Le mystique n’avait jamais eu d’auditoire aussi captivé ; il s’en gargarisait, oubliant ses propres craintes, ses propres avertissements, retardant la fuite qu’il avait préconisée en premier lieu. Il s’oubliait, allant jusqu’à invoquer les alchimistes de jadis qui avaient détenu le pouvoir de transformer la pierre en or et les hommes en loups, un pouvoir enfoui que la guerre avait déterré, un pouvoir maudit dont des hommes avides s’étaient emparés sans réfléchir. Ovide observa Pallas tout au long du laïus de Rhadamanthe : il ne comprenait pas pourquoi le meneur le laissait parler, le laissait distiller des peurs, des doutes dans le bloc collectif qu’il devait logiquement diriger, bloc déjà fortement amoindri par le refus d’Écho d’y prendre part ; puis, il comprit, quand Pallas, puis Orion, se relevèrent pour se mettre aux côtés du mystique, non, plus exactement pour se mettre entre lui et l’éclat de l’unique lampe à huile éclairant la pièce — par un effet de mise en scène calculé, Pallas renvoya Rhadamanthe dans l’ombre et repris le devant, porté, enluminé par les craintes que le mystique avait fait naître. Le meneur et le scorpion parlèrent eux aussi de rumeurs, évoquèrent des histoires rapportées, des histoires sanglantes, des histoires pour enfants — des histoires qu’Ovide avaient entendues des années auparavant et dont il ne fit le lien avec leur situation qu’à présent, un lien qui lui semblait d’une certaine façon par trop opportun. Depuis une décennie, des meurtres violents (une bonne centaine, disait-on) s’étaient produits, d’abord centrés sur la péninsule ils avaient remonté la côte jusqu’aux premiers faubourgs de la nouvelle Ève ; les autorités n’en parlaient pas, non seulement car ils restaient non élucidés, mais surtout car leur sauvagerie manifeste avait de quoi effrayer — comme si la guerre elle-même n’était pas sauvage. Ovide en avait d’abord entendu parler par un ami d’un ami de […]

Oh, mais, pourquoi couper ? Pourquoi si peu ? Pourquoi se contenter d'un avant-goût, hein, pourquoi ? Abonnez-vous et recevez à la carte les fragments de ce texte !