“Ma mère a pendant longtemps été la seule héroïne de ma vie. J’ai le souvenir de ces contes qu’elle et mes tantes me racontaient, ces histoires à la fois horribles et lumineuses, peuplées de dragons de mer dévoreurs d’hommes, de loups aux dents pointues courant après le soleil, de géants de la taille d’une montagne prêts à déferler sur le monde, mais des histoires habitées aussi par des humains fascinants, fascinants dans leur lutte face à des dieux paresseux, orgueilleux et querelleurs, fascinants dans leur abnégation à ne pas être terrifiés, comme moi, par l’évocation de toutes ces créatures, rejetons maléfiques de dieux malfaisants ; ces humains s’élevaient de la condition miséreuse et fataliste de leur race, se hissaient jusqu’aux cimes des montagnes, jusqu’à la voûte céleste, et foulaient de leurs pieds impies la surface des nuages pour y défier leurs propres dieux. Ces humains vivaient et mourraient en héros. Ce n’étaient que des contes ; la petite fille que j’ai été les a aimés un temps. Dans le village où j’ai grandi il n’y avait pas de héros ; il n’y en avait pas besoin. La guerre n’était qu’un mot ; alors les héros aussi. Je crois que mon peuple n’avait alors pas besoin de transcender sa condition, d’enluminer le quotidien, de rêver la réalité — et quand il a eu besoin de tout cela, il était déjà trop tard : tous les dictionnaires et les livres de contes avaient été brûlés et les enfants de mon âge n’avaient plus que leur mémoire pour perpétuer le souvenir des héros et des héroïnes des contes de mon enfance. Je ne voulais pas perpétuer ces souvenirs […]

Oh, mais, pourquoi couper ? Pourquoi si peu ? Pourquoi se contenter d'un avant-goût, hein, pourquoi ? Abonnez-vous et recevez à la carte les fragments de ce texte !